La chanson “Chacun fait (c’qui lui plaît)” du duo Chagrin d’Amour, sortie en 1981, est une œuvre emblématique des années 80. Elle s’est inscrite comme un symbole de la liberté, de l’irrévérence et de la quête d’individualisme qui marquaient cette époque en France et au-delà. Ce titre a rencontré un immense succès en raison de son rythme entraînant, de son style musical novateur qui marie pop, rap et reggae, mais aussi grâce à ses paroles qui capturent un moment charnière dans l’évolution des mentalités. Dans cet article, nous plongerons dans les thèmes abordés par cette chanson, nous explorerons son contexte socioculturel, et nous analyserons pourquoi elle résonne encore dans l’imaginaire collectif des Français.
Contexte historique et socioculturel
Avant d’analyser les paroles et la signification profonde de “Chacun fait (c’qui lui plaît)”, il est essentiel de replacer la chanson dans son contexte. Les années 80 en France étaient marquées par de nombreux bouleversements sociaux et culturels. Après les révolutions sociales des années 60 et 70, la jeunesse française des années 80 vivait dans un climat d’ouverture sur le monde, de consommation accrue et d’une certaine désillusion face aux promesses non tenues de ces révolutions. En 1981, la France voyait l’élection de François Mitterrand, le premier président socialiste, incarnant une ère de changement, marquée par des réformes importantes, notamment sociales et culturelles.
Cependant, cette décennie était également celle de la montée de la consommation de masse, du capitalisme, et d’une culture de l’individualisme plus marquée. Le monde musical des années 80 se diversifiait, avec une popularité croissante pour les sons électroniques, le punk, le rock, et des genres plus urbains comme le rap qui faisait ses premières incursions sur la scène française.
“Chacun fait (c’qui lui plaît)” s’inscrit donc parfaitement dans cette mouvance de libération des mœurs et de recherche de plaisir immédiat, tout en servant de reflet à la fois des aspirations et des désillusions de la jeunesse française.
Les paroles : entre désinvolture et critique sociale
Les paroles de “Chacun fait (c’qui lui plaît)” relatent une nuit parisienne marquée par l’excès, la recherche de sensations fortes, mais aussi par la solitude et l’aliénation. Le narrateur dépeint un tableau de personnages un peu perdus, en quête de divertissement pour échapper à la morosité de la vie quotidienne. Le refrain, avec son accroche répétitive “Chacun fait, fait, fait, c’qui lui plaît, plaît, plaît”, résume parfaitement cette quête de liberté individuelle et l’envie de s’affranchir des conventions sociales.
Cependant, derrière cette apparente légèreté, la chanson propose une critique plus subtile des excès de cette liberté retrouvée. Le personnage principal, un homme solitaire, passe une nuit dans les rues de Paris, croisant des figures tout aussi désorientées que lui, telles qu’une prostituée ou des jeunes en pleine fête. Bien que chacun semble “faire ce qui lui plaît”, il devient rapidement évident que cette liberté n’est qu’un masque pour une certaine forme de détresse. Les personnages cherchent à s’évader, mais leurs actions sont souvent dictées par une société qui encourage la consommation, l’instantanéité et l’hédonisme sans toujours offrir de véritables solutions à leur mal-être.
L’individualisme en question
L’un des thèmes centraux de la chanson est donc l’individualisme. À première vue, la chanson semble célébrer le droit de chacun à faire ce qu’il veut, sans se soucier des attentes ou des normes sociales. Cette philosophie du “chacun pour soi” est en phase avec l’esprit des années 80, marquées par l’essor de l’économie de marché, l’accent sur la réussite personnelle et la montée de la culture de masse.
Pourtant, l’analyse plus profonde des paroles révèle une ambivalence vis-à-vis de cette quête d’indépendance absolue. Si la liberté personnelle est mise en avant, elle est également source d’isolement. Le narrateur, tout comme les autres personnages qu’il croise, semble désorienté, à la recherche de quelque chose de plus significatif que ce que leur offre leur existence actuelle. La liberté individuelle devient alors une façade, derrière laquelle se cache une quête inaboutie de sens et de connexion avec les autres.
Une critique des excès de la société de consommation
La chanson évoque également, de manière implicite, une critique de la société de consommation, omniprésente dans les années 80. Cette décennie a vu l’émergence de nouveaux modes de consommation, de l’explosion des centres commerciaux à l’apparition des chaînes de fast-food, en passant par la généralisation de la publicité et du marketing. Dans ce contexte, “faire ce qui plaît” peut aussi être interprété comme une invitation à consommer sans modération, à répondre à tous ses désirs instantanément.
La chanson reflète cette réalité : les personnages cherchent tous à satisfaire un besoin immédiat, que ce soit à travers l’alcool, la fête ou les rencontres superficielles. Toutefois, cette satisfaction reste éphémère, laissant derrière elle un sentiment de vide. Chagrin d’Amour semble ainsi pointer du doigt une société où la liberté individuelle, loin d’apporter bonheur et épanouissement, conduit souvent à une quête perpétuelle de plaisir qui ne fait que renforcer le mal-être.
Le style musical : un mélange novateur et avant-gardiste
Outre les paroles, l’impact de “Chacun fait (c’qui lui plaît)” réside également dans sa production musicale. Le duo Chagrin d’Amour, composé de Grégory Ken et Valli, a su marier différents styles musicaux pour créer un son unique et novateur à l’époque. La chanson mêle le rap, qui commençait tout juste à émerger en France, avec des éléments de pop et de reggae, ce qui lui confère une fraîcheur et une originalité indéniables.
Le rap, un genre souvent associé à la contestation sociale, permet ici de renforcer le message de la chanson, en donnant une voix à ceux qui, comme le narrateur, se sentent en marge de la société. Le rythme syncopé et les paroles scandées renforcent l’idée d’urgence et de chaos qui caractérise la nuit parisienne décrite dans la chanson. Le refrain, avec sa répétition quasi hypnotique, ajoute à cette sensation de spirale, où chaque personnage semble enfermé dans sa propre quête de satisfaction immédiate.
Ce mélange de genres a également permis à “Chacun fait (c’qui lui plaît)” de toucher un large public, des amateurs de pop aux auditeurs plus intéressés par des sons urbains et contestataires. Le succès commercial de la chanson, qui a rapidement grimpé en tête des charts en France, témoigne de cette capacité à résonner auprès de différentes générations et classes sociales.
La réception et l’héritage de la chanson
Dès sa sortie, “Chacun fait (c’qui lui plaît)” a rencontré un immense succès. Elle a été largement diffusée à la radio et a été adoptée par une jeunesse avide de nouveaux sons et de nouvelles manières de penser. Son côté provocateur, notamment dans la description de la rencontre avec une prostituée, a également suscité des débats sur la manière dont la chanson reflète ou critique la société.
Plus de quarante ans après sa sortie, “Chacun fait (c’qui lui plaît)” reste une chanson culte. Elle continue d’être écoutée et redécouverte par de nouvelles générations, grâce à son style musical avant-gardiste et à ses paroles qui demeurent d’actualité. La quête de liberté individuelle, la recherche de satisfaction immédiate, mais aussi l’isolement qui en découle, sont des thèmes toujours pertinents aujourd’hui, à une époque où les réseaux sociaux et la culture numérique accentuent cette quête d’instantanéité.
Conclusion
“Chacun fait (c’qui lui plaît)” de Chagrin d’Amour est bien plus qu’une simple chanson pop des années 80. Elle offre une réflexion profonde sur les tensions entre liberté individuelle et aliénation, entre hédonisme et mal-être, qui traversent la société moderne. En mêlant un style musical innovant à des paroles à la fois désinvoltes et critiques, Chagrin d’Amour a créé une œuvre intemporelle qui continue de résonner dans l’esprit de ses auditeurs. À travers cette chanson, ils ont capturé l’essence d’une époque tout en abordant des questions universelles qui résonnent encore aujourd’hui. Si chacun fait ce qui lui plaît, reste la question de savoir si cela suffit pour trouver le bonheur.